brève histoire

 

"La terre est plate" ou la brève histoire d'une "vérité"

  

   On croit souvent que les hommes ont d'abord affirmé que la Terre était plate. On croit aussi que Galilée ou Christophe Colomb ont découvert cette vérité qu'elle est ronde. Parfois, on fait mourir Galilée pour cette raison sur le bûcher.
   C'est non seulement une erreur, mais il s'agit peut-être même d'un mythe. On se représente le grand savant solitaire qui s'opposa au péril de sa vie à d'obscurantistes hommes d'Eglise. Peut-être qu'une société qui sacralise la science à défaut d'une autre religion a besoin d'un tel mythe.
   Que Galilée n'ait pu découvrir que la Terre est ronde est clair d'un point de vue chronologique. Né en 1564, il vécut après que les marins de Magellan (1480-1521) aient fini leur tour du monde en 1522.
   Que Christophe Colomb n'ait pu découvrir que la Terre était ronde est tout aussi clair. Il possédait en effet un ouvrage du XIVe siècle du cardinal français d'Ailly, l'Imago mundi, dans une version imprimée en 1480. C'est dans cet ouvrage que Colomb découvrit les preuves apportées par les Anciens de la sphéricité de la Terre, notamment celle du chapitre XIV du livre II du Traité du Ciel d'Aristote, soit au IVe siècle avant J.-C. C'est dans le texte d'Aristote que se trouve mentionnée la thèse selon laquelle il y a une seule mer de l'Afrique aux Indes. Il prit aussi connaissance des mesures du méridien terrestre effectuées par Eratosthène au IIe siècle avant J.-C.
   Bref, dès l'Antiquité, "on savait" que la Terre est ronde. Quand donc a-t-on cru qu'elle était plate et qui l'a cru ?

   Cette thèse, nous la devons à un savant bien ancien, à savoir Thalès (VIIe-VIe siècle avant J.-C.). Elle fut aussi soutenue, si on en croit le Traité du Ciel d'Aristote, par Anaximène, Anaxagore et Démocrite au Ve siècle avant J.-C. Et ce fut un progrès, car Thalès rompit avec les représentations mythiques, telles qu'on les trouve chez Hésiode (VIIIe-VIIe siècle avant J.-C.), d'une déesse Terre (Gaia) qui occupait le bas de l'univers et qui avait des racines. Il conçut un disque plat posé sur l'eau. Les mouvements de l'eau expliquaient selon lui les tremblements de terre. Cette conception relative à la forme de la Terre continua son chemin dans l'Antiquité. On la trouve par exemple chez le poète latin Ovide (43 av. J.-C. - 17 ap. J.-C.) dans Les métamorphoses, I.
   Une objection était possible. Si la Terre repose sur l'eau, sur quoi l'eau repose-t-elle ? Anaximandre, le disciple de Thalès, proposa alors une autre représentation de la Terre, celle d'un cylindre - la courbure apparaît - au milieu d'un univers infini de sorte qu'il n'y ait aucune raison pour que la Terre se dirige d'un côté plutôt que de l'autre. Pourtant, malgré sa connaissance de la courbure, Anaximandre ne conçut pas la sphéricité de la Terre.
   C'est vraisemblablement au Ve siècle que la Terre devint ronde, peut-être chez Parménide, certainement chez le pythagoricien Philolaos. Au IVe siècle Platon l'affirme pour des raisons de symétrie. Cette figure de la Terre lui paraît plus rationnelle que toute autre, d'autant plus qu'il la conçoit au centre de l'univers.
   C'est Aristote qui apporte les premières preuves qui nous sont connues. La première est que l'élément terre se dirige vers le centre de l'univers qu'Aristote conçoit fini. Donc, la sphère est la figure qui en résulte. Cet argument, reposant sur la physique d'Aristote qui est dépassée, n'est plus valable.
   La seconde preuve, toujours valable de nos jours, est que chaque fois qu'il y a une éclipse de Lune, la forme réfléchie est toujours courbe.
   Enfin, la troisième preuve, elle aussi valable aujourd'hui, repose sur l'observation selon laquelle l'ombre n'est pas la même lorsqu'on se déplace du nord au sud : la différence s'explique si la Terre est sphérique.
   Les Anciens ajouteront un autre argument, à savoir qu'un bateau arrivant à l'horizon, on commence à voir le mât avant la proue, ou à l'inverse, que lorsque les bateaux s'éloignent, le mât disparaît en dernier.
   Il revient à Eratosthène (~276-~195 av. J.-C.) d'avoir mesuré le méridien terrestre. Pour cela, il lui fallait bien concevoir la Terre comme sphérique et considérer qu'il s'agissait là d'une thèse définitive. Pour la mesurer, il se servit du fait qu'à Syène, l'actuelle Assouan, un rayon de soleil se dirigeait vers le fond d'un puits. Aussi, connaissant la distance de Syène à Alexandrie et l'angle que fait le Soleil à la même heure, il put en déduire la grandeur du méridien terrestre. On estime qu'il arriva à une mesure à peu près équivalente à la mesure actuelle, soit environ 40000 kilomètres.
   Avant lui, Aristarque de Samos (~310-~230 av. J.-C.) non seulement proposa une méthode correcte pour mesurer les distances entre la Lune et la Terre, et entre la Terre et le Soleil, mais il proposa le premier l'hypothèse héliocentrique, c'est-à-dire l'idée selon laquelle c'est la terre qui tourne autour du Soleil et non l'inverse. Si la question de la forme de la Terre ne posa aucun problème particulier, on peut faire remarquer que l'hypothèse d'Aristarque fut condamnée par le stoïcien Cléanthe, qui proposa qu'on le poursuive pour impiété : ce que personne ne fit. Avant donc le christianisme, l'hypothèse héliocentrique posait un problème religieux mais nullement la question de la forme de la Terre.

   Avec le christianisme, les choses se compliquent quelque peu. D'un côté, nombre de religieux acceptèrent sans difficultés les données de l'astronomie antique.
   Mais l'opposition à la science se manifesta également et on assista à des lectures littérales de la Bible. C'est ainsi que Lactance (~260-~325), quelque huit siècles après Aristote, soutint que la Terre est plate, arguant notamment "qu'il est insensé de croire qu'il existe des lieux où les choses puissent être suspendues de bas en haut" (Institutions divines). La décadence de la science dans l'Antiquité conduisit même à des résultats surprenants. C'est ainsi qu'un moine byzantin du VIe siècle, Cosmas Indicopleustès ou Cosmas d'Alexandrie, dans sa Topographia Christiana, pensait que la Terre était terminée par des murailles derrière lesquelles le Soleil se couchait.
   Toutefois, la plupart des savants, c'est-à-dire des théologiens du Moyen-Age, admettait une Terre ronde. Dans ses Etymologies, Isidore de Séville (~530-~636) compare la Terre à une balle, et, dans don Image du monde, au XIIIe siècle, Gossuin de Metz la compare à une pelote. Une des façons de concilier les deux images, la Terre plate et la Terre ronde, consistait à considérer que la partie habitée, l'oekoumène, qui n'est qu'une faible partie, est plate.
   La redécouverte de la philosophie et de la science antique durant le Moyen-Age, notamment par l'intermédiaire des arabo-musulmans qui l'enrichirent (algèbre par exemple), confirma la représentation d'une Terre ronde au centre d'un univers lui-même sphérique.
   C'est cette représentation qui fut ébranlée par Copernic (1473-1543), qui reprit l'hypothèse héliocentrique, et c'est en son nom que fut prononcée la condamnation de Galilée en 1633. Le vieil homme ne fut pas un martyr de la science puisqu'il jura sur la Bible que la Terre était au centre de l'univers et vécut en résidence surveillée jusqu'à sa mort en 1642.
   Curieusement, la physique finit par proposer une autre hypothèse avec Newton (1642-1727), celle d'une Terre non sphérique mais boursouflée à l'équateur et aplatie aux pôles. Cette hypothèse fut confirmée dans la première moitié du XVIIIe siècle. Pourtant, on continue à croire que la Terre est ronde et non pas plate, alors qu'elle n'est ni l'une ni l'autre.

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