Solidarité ou Chaos

 

 

 

 

G 20 : Solidarité ou Chaos ?
L’Humanité a rendez-vous avec elle même !

Sans forcer le trait nous rentrons collectivement dans une phase décisive, un carrefour sublime où se joue l’avenir. Nous voici au Cap Horn de la civilisation : sombrer ou découvrir de nouveaux horizons chargés de promesses merveilleuses.

Crises financière, économique, énergétique, alimentaire, climatique, écologique : chacun aura compris qu’elles se croisent, se combinent, s’alimentent et dévoilent au bout du compte une crise systémique. Ce confluent de difficultés sans équivalent d’échelle met l’humanité au pied du mur, et appelle une réponse systémique. La voie est étroite et le temps presse. Choisir ou subir. Envisager une seconde de laisser le temps nous dicter la mutation, c’est rentrer dans une navigation par temps de brouillard avec un bandeau sur les yeux. Le dénouement sera sans appel, et forcément tragique. Nous devons profiter de l’opportunité paradoxale et inédite que nous offre cette communauté de destin pour rebattre ensemble les cartes, et revoir l’ambition du projet humain. C’est l’ultime occasion de redonner du sens au progrès.
 

Vers plus d’équité et de partage

Seule fait encore défaut une volonté partagée et coordonnée. L’argent est là visiblement, puisque mobilisable du jour au lendemain par milliards d’euros pour sauver le système économique, ou être dépensé, entre autres, d’année après année à fonds perdus sur des fronts discutables sans réelle utilité sociale, ou encore dans des budgets militaires monstrueux (près de 3 milliards de dollars par jour au niveau mondial). Il est là, mais mal orienté, mal partagé et trop concentré (94% du revenu mondial revient à moins de 40% de la population, 400 familles ont un revenu équivalent à celui de 3 milliards d’habitants, et les 3 premières fortunes du monde totalisent des avoirs supérieurs aux PIB des 58 pays les plus pauvres).

Le G20 de Washington et les autres sommets qui vont nécessairement s’enchaîner jusqu’à Copenhague fin 2009, sont peut-être l’ultime occasion d’envisager ensemble un autre monde. Un monde où l’on ne se résigne plus à ce qu’un milliard de personnes vivent avec moins de un dollar par jour, et la moitié de l’humanité avec moins de 2 dollars. Un monde où l’on ne s’accommode plus de deux millions de personnes qui meurent chaque année de maladies, pour lesquelles ils existent des traitements et des médicaments ailleurs. Un monde qui ferme les yeux sur un apartheid planétaire, qui ne dit pas son nom et qui cautionne et valide un sous-développement durable. Une situation intenable sur une planète connectée où tout se voit, où tout se sait, et qui ajoute comme le fait remarquer justement le philosophe Patrick Viveret, « à l’injustice un élément explosif : l’humiliation ».

Obligation nous est faite de tisser la trame d’un monde nouveau, où une fois pour toutes l’on replace l’économie et la finance au service de l’homme. Aux participants du G20 de jeter les bases d’un modèle de développement compatible avec la réalité physique et humaine de notre planète, pour enfin sortir du cercle vicieux de la pauvreté et de la destruction de nos ressources naturelles. Le sort d’un milliard d’affamés qu’aucun porte-voix ne représentera, se joue à Washington. L’avenir de la planète s’y détermine également.

Si l’effort, les objectifs et les moyens ne sont pas partagés, il n’y aura d’issue favorable pour pour personne. Les conséquences économiques, démocratiques et sociales de l’effondrement du capital naturel et de la rupture des grands équilibres écologiques, seront sans commune mesure avec l’épisode d’aujourd’hui. Il est malheureusement nécessaire de rappeler que notre économie, dont la plupart des indicateurs gomment l’avenir, s’est historiquement constituée sur l’appropriation des ressources naturelles. Nous puisons dans un stock fini et nous effaçons progressivement le disque dur de la nature, ni plus ni moins notre patrimoine vital. De l’illusion de l’abondance, nous basculons dans la réalité de la rareté avec les contraintes que cela impose. Ne nous croyons pas civilisés en profondeur ! Quand les pénuries s’additionnent et que la nature se rebelle, le vernis des bonnes manières vole instantanément en éclats, et le capital de valeurs qui fait la société laisse place à la loi du plus fort et du chacun pour soi. L’hypothèse de chercheuse d’un retour à l’ensauvagement est toujours probable. Pourtant, le génie humain ne fait pas défaut. La technologie et la connaissance sont d’ores et déjà suffisantes, même si la créativité et l’inventivité, comme les ressources humaines, doivent êtres mobilisés et orientés pour aider à sortir de l’impasse.

Changer de logiciel

Le plus petit dénominateur commun à toutes ces crises actuelles reste notre incapacité chronique à nous fixer des limites, ce bon sens perdu de la mesure. Dans un monde qui ne s’étend pas au rythme de nos sollicitations, chacun peut comprendre que l’illusion de l’abondance pour tous est une imposture. Alors que l’essentiel n’est pas résolu pour la plupart des terriens, le superflu est sans limites pour quelques-uns. Le tout dans un modèle qui donne de la valeur à ce qui n’est pas nécessaire, et très peu à ce qui est essentiel. Nous sommes condamnés à partager dans l’espace et dans le temps, et pour ce faire, à économiser au sens noble du terme. Ce à quoi, au passage, la « science » qu’est supposée être l’économie devrait nous inciter et aurait dû nous guider. Allons-nous réparer un modèle qui est la cause de tous les désordres et non la solution, ou tenter de raisonner avec une nouvelle manière de penser en posant un nouveau regard ? Nous sommes tellement conditionnés par un unique modèle de développement, que chacune de nos réactions à un problème donné est elle-même conditionnée par des critères erronés. L’interruption d’un cours auquel à peu près tout le monde adhère irrésistiblement sans jamais le remettre en cause. Une nouvelle façon de penser est impérative.

Peut-on mettre fin à une société basée sur la compétition, la prédation et l’accumulation ? Peut-on glisser du libre-échange au juste échange ? En gardant à l’esprit que le progrès technique peut être parfois un jeu à somme nulle quand on confond progrès et performance : ce que nous gagnons d’un côté nous le perdons de l’autre. Tout comme le marché, ce que l’un gagne ici, l’autre le perd souvent là-bas. Peut-on passer du maximum à l’optimum et nous affranchir du culte de la croissance quantitative ? Ce fameux idéal qui crée chaque jour de nouveaux besoins n’est qu’un traquenard. Cette croissance qui n’a d’autre objectif qu’elle-même et qui comme le rappelle Jean-Marie Pelt est devenue « une excroissance » et nous entraîne dans un cycle maudit. La quotidienneté et l’urgence régies par la satisfaction de nos désirs matériels sont devenus nos modes de fonctionnement essentiel.

Se donner le choix

Pour faire face à cette matrice de complexités qui nous écrase -dans un monde jugulé par la dictature du court terme- il me semble qu’il y a deux priorités absolues, nécessaires pour faire jaillir ce fameux changement de paradigme que chacun semble dorénavant appelé de ses voeux.

La première, à l’échelle individuelle et collective, revient à trier dans les possibles. Le progrès se construit avec des acquiescements et des renoncements. C’est un renoncement consenti, « La révolution faite à l’amiable », selon Victor Hugo. Renouer avec le corollaire absolu de la liberté, choisir. Hiérarchiser nos objectifs et limiter volontairement nos besoins. On ne peut pas se disperser sur tous les fronts, vouloir tout, tout de suite, et toujours plus. Intelligence vient de inter et legere : choisir entre. Faisons enfin la démonstration de notre intelligence et non de notre puissance. L’intelligence est l’aptitude au choix juste. La civilisation ne consiste pas à multiplier les besoins mais à les limiter volontairement. S’aliéner ou de libérer, la faculté à nous poser des limites est la condition absolue de notre liberté, et la clé commune pour résoudre toutes nos difficultés, le gage de notre futur.

Les nouvelles régulations

La deuxième priorité consiste à économiser, réguler, réduire, réutiliser, recycler pour partager aujourd’hui et surtout demain. D’un point de vue rationnel, il faut sortir d’un système monétaire et financier entièrement fondé sur la croissance exponentielle de l’endettement des agents économiques publics et privés. Celui-ci exige en effet une croissance économique perpétuelle, et consume les éléments physiques et biologiques qui préconditionnent son existence. Il faut donc mettre en place, au cœur de la banque et de la finance, de nouvelles règles qui limitent le crédit, l’effet de levier, l’innovation financière débridée (comme la titrisation), ainsi que la croissance de la valeur des actifs spéculatifs au détriment des activités réelles. Il faut ainsi redonner du pouvoir financier aux Etats, sous contrôle démocratique, en réduisant celui qui a été donné à la sphère financière.

Simultanément, il faut adopter sans concession un objectif de réduction de consommation des ressources naturelles compatible avec les contraintes physiques. Aujourd’hui, on ne consomme pas, on consume. Tout doit tendre pour trouver le point d’équilibre entre ce que la nature peut nous donner et ce que nous pouvons lui demander. D’ores et déjà notre exigence dépasse de 25% ses facultés de régénération. Il en est de l’écologie, comme de l’économie : vivre au-dessus de ses moyens n’a jamais de fin heureuse.
Les changements climatiques et la déplétion du gaz, du pétrole et du charbon, nous condamnent à un renoncement rapide aux combustibles fossiles. Cet objectif doit constituer la pierre angulaire de la politique et de l’investissement à dater d’aujourd’hui. Plus tôt on préparera l’inévitable transition énergétique et mutation écologique, plus elles seront socialement acceptables et économiquement supportables. Il faut un plan Marshall qui oriente massivement les efforts des uns et des autres vers l’économie de demain. Un plan sobre en ressources, tout autant qu’équitable, qui fonde la relance économique et sociale, non sur le dopage de la consommation, mais sur le soutien massif et prioritaire pour la transition vers les sociétés post-carbone et qui préservent et réhabilitent nos ressources naturelles et nos écosystèmes. Cela passe par un retour impératif à la régulation publique. Il faut refonder les régulations sur les raretés objectives. Il y a des offres dont il faudra se priver, car indécentes et incompatibles avec la réalité énergétique ou écologique (des véhicules roulant au-dessus des vitesses autorisées ou les objets dont on programme l’obsolescence à la construction, entre mille exemples). Il y a des comportements et des pratiques absurdes que la prise en compte des coûts énergétiques réels en donnant un prix au carbone émis et des impacts environnementaux (ces fameuses externalités négatives des économistes) dans notre comptabilité, doit rendre obsolète (comme envoyer des langoustines d’Ecosse se faire décortiquer en Thaïlande et revenir pour être commercialisées). Il y a d’autres flux qu’il faudra réguler (le prélèvement de l’eau, l’exploitation des ressources halieutiques, entre autres).

La norme et la réglementation devront plus que jamais être les instruments de la cohérence, de la compatibilité et de la durabilité. Enfin, il sera nécessaire de basculer, en partie ou en totalité, la fiscalité essentiellement basée sur le travail ou le capital manufacturier, vers la régulation du capital financier, de l’économie rentière, mais aussi et surtout de l’exploitation du capital naturel, de l’énergie, de la pollution et des impacts environnementaux. Réduire les prélèvements du travail, c’est libérer l’emploi et limiter le dumping social. Réguler au niveau mondial la consommation de la nature, c’est redistribuer les ressources, de fait, vers les pays en voie de développement tout en permettant un rééquilibrage politique.
Il faudra également relocaliser une partie de nos économies vers des marchés régionaux, pour rationaliser les flux énergétiques et de transports de matières. La cohérence pour garantir notre avenir est à ce prix, mais il n’existe aucune stratégie pour résoudre ces impératifs sans un changement radical de nos modes de vie. Non seulement un autre monde est possible, mais il est souhaitable, incontournable, voire désirable. Il faut retrouver le goût de l’avenir et ne pas nous soustraire à l’espérance.
Dans un délai assez court, nos intérêts sont les mêmes, le Nord a tout à gagner à ce que le Sud gagne. Profitons-en pour créer une coalition pour mutualiser et échanger nos vertus et non plus nos vices.
Il est temps de réconcilier nos actions et nos intentions. Si tant est que nous précisions ces dernières : l’épanouissement durable et équitable de la condition humaine. Devenir humain ne devrait pas être une tâche si accablante !

Nicolas Hulot, Marianne n°604, 15 novembre 2008
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